Dans cette interview, Jean-Marc Bonnisseau (vice-président pour les relations internationales) et de Bastien François (directeur du département de science politique et conseiller régional d’Ile de France), nous livrent leur parcours et discutent de l’état actuel et de la coopération future entre la FESP et l’Université Paris 1.
M. Bonnisseau, pouvez-vous nous donner un aperçu de votre parcours académique ?
J-M. B : J’ai commencé par une formation en mathématique appliquée que j’ai orientée vers les domaines de l’économie. J’ai alors rejoint l’école de l’ENSAE pour faire une formation d’ingénieur économiste qui mélange les méthodes statistiques et d’économétrie pour l’économie ; formation que je n’ai pas terminé pour des raisons de service national. Après, je me suis tourné vers une formation de mathématique de la décision qui était à l’époque la plus réputée à l’université Paris Dauphine. A cette occasion j’ai rencontré le professeur Bernard Cornet qui est devenu mon directeur de thèse et qui m’a fait découvrir cette interface des mathématiques appliquées à l’économie. J’ai obtenu mon doctorat à l’université Paris 1 en 1988. Et depuis, je poursuis toujours mes recherches dans cette ligne des modèles mathématiques de l’économie avec l’idée de proposer des aides à la décision. Je m’intéresse à des questions d’économie publique, par exemple de régulation des monopoles et d’organisation de la production dans le cadre de grandes infrastructures comme l’énergie ou les télécommunications.
« Donc si j’ai un choix à faire un jour, ça sera comme je l’ai déjà fait, c’est d’être à l’université. »
– M. François, vous avez un double parcours, académique et politique. Vous dirigez le département de science politique de l’Université Paris 1 et vous êtes conseiller régional d’Ile de France. Comment concevez-vous les deux ?
B. F. : Il n’était pas du tout prévu que je devienne universitaire. J’ai une formation en droit, en science politique, en économie et en finance et j’ai commencé à travailler dans une grande banque française à faire de la macroéconomie. Donc je suis arrivé tardivement à l’université. Comment je suis arrivé à la politique ? J’avais des travaux universitaires sur un certain nombre de questions qui m’amenaient à réfléchir à des problèmes auxquels je n’avais pas à réfléchir en tant que citoyen. Donc, petit à petit, je me suis dissocié dans ma tête entre l’universitaire qui fait des travaux universitaires et le citoyen qui essaye de tirer des conséquences politiques de ses propres travaux. Je suis arrivé tardivement et un peu par hasard à m’occuper de questions politiques. Concilier mes deux activités pose deux types de problèmes. D’abord cela pose un problème presque matériel. On a deux vies et ces deux vies sont très remplies. Donc, il faut s’organiser d’une façon particulièrement stricte. Et puis, cela pose un problème intellectuel. Je tiens beaucoup à vraiment distinguer chez moi les deux personnes. Quand je suis universitaire je suis très attentif à ne rien publier avec l’Université Paris 1 qui puisse être politique. En revanche, quand je suis politique, je n’abuse pas de mon titre universitaire, je ne joue pas au connaissant. C’est assez difficile à tenir car tout le monde veut mélanger cela. C’est une vieille question qui avait été posée par Max Weber sur le savant et le politique. Je pense qu’il faut trouver un équilibre entre les deux. Il ne faut pas que l’un l’emporte sur l’autre sinon on perd sa crédibilité dans tous les camps.
-Avez-vous envisagé la situation où vous ne pouvez pas concilier vos deux activités d’universitaire et d’homme politique ?
B. F. : Oui, j’ai d’ailleurs refusé de diriger le cabinet d’un ministre parce que cela m’obligeait à ne plus être universitaire. Ma priorité c’est d’être universitaire et mon plaisir c’est de participer à des recherches, d’écrire des articles, des livres etc. Je préfère ma vie d’universitaire. Je la trouve plus libre. La politique c’est en plus. Donc si j’ai un choix à faire un jour, ça sera comme je l’ai déjà fait, c’est d’être à l’université. La politique c’est quelque chose de très discipliné et de très collectif, on est obligé d’endosser des positions qui ne sont pas nécessairement les vôtres dans un groupe, dans un parti etc. Et c’est quelque chose dans laquelle je ne me sens pas très à l’aise. Je suis plus heureux et peut-être plus utile en tant qu’universitaire.
« Il s’agit de construire une coopération qui ne soit pas une implantation mais véritablement un travail conjoint »
–M. Bonnisseau, en tant que vice-président de l’Université Paris 1 pour les Relations Internationales, pouvez-vous nous parler des objectifs de la politique internationale de votre université ?
J-M. B.: J’ai pris mes fonctions de vice-président en mai 2012 juste au moment où on devait finaliser le travail du prochain contrat quinquennal 2014-2018. Pour les cinq prochaines années, nous avons fixé une stratégie de trois objectifs principaux. Le premier objectif est d’augmenter la mobilité des étudiants de l’Université afin qu’à terme du contrat au moins 20% des effectifs étudiants aient une mobilité d’au moins 6 mois au cours de leur parcours de la licence au doctorat. Le deuxième objectif est de développer des formations conjointes avec des universités partenaires dans le monde entier, tel qu’on le fait évidemment avec l’Université du Caire en économie, en science politique et en droit. Il s’agit de construire une coopération qui ne soit pas une implantation mais véritablement un travail conjoint pour aller vers des doubles diplômes ou des diplômes joints. Nous avons acquis une certaine expertise grâce aux Master Erasmus Mundus qu’on a en économie, en histoire, en économie théorique et en doctorat. Le troisième objectif est de mieux assurer le rayonnement international de la recherche. Je pense que le niveau de la recherche en sciences humaines et sociales (SHS) à l’Université Paris 1 est extrêmement élevé et d’une très grande qualité. Au niveau de la direction de l’université nous essayons de mieux valoriser ce potentiel pour le faire connaître, pour diffuser la pensée française en général et aussi pour attirer des étudiants, des doctorants qui découvrant la qualité de la recherche à Paris 1, auront envie de faire des thèses chez nous.
-Quelle est la place de la coopération avec l’Egypte ?
J-M. B. : La coopération avec l’Egypte est très particulière parce qu’elle est très ancienne à travers ce que l’on a fait à l’IDAI à l’Université du Caire. Aujourd’hui à l’Université du Caire nous avons des formations en droit, plus récemment en économie et encore plus récemment en science politique. Et à peu près en même temps nous avons ouvert une formation de gestion du patrimoine culturel à l’UFE. Nous avons aussi des liens avec l’Université Senghor dans le domaine de la conservation du patrimoine. Nous avons une très forte implantation en Egypte et je pense que nous sommes la première institution d’enseignement supérieur français présente en Egypte en termes d’étudiants vraiment inscrits à l’université et non pas simplement en mobilité. Nous accueillons aussi de nombreux égyptiens boursiers Eiffel dans le cadre des Master 2 ou du doctorat. L’Université Paris 1 a un département d’archéologie et par conséquent nous avons de nombreux atomes crochus avec l’Egypte. Dans le domaine général des SHS nous voulons avoir une place entière qui est d’autant plus passionnante depuis la révolution égyptienne où des questions nouvelles se posent. Nous considérons que les travaux menés à Paris 1 pourraient aider à un processus qu’on souhaite tous positif pour l’Egypte.
-En tant que directeur du département de science politique de l’Université Paris1, comment évaluez-vous le partenariat entre la FESP et votre département, la mise en place d’un double diplôme en science politique et quel est l’intérêt de Paris 1 ?
B. F. : Le directeur d’UFR a un objectif assez simple, celui d’offrir la meilleure formation à ses étudiants. C’est-à-dire avoir à la fois des enseignants, des cours qui sont ce qui se fait de mieux dans sa discipline et aussi avoir des étudiants qui sont insérés dans le monde et qui ne sont pas simplement dans leur petit milieu franco-français. Notre département est extrêmement favorable à des formes d’ouverture, à des échanges, mais des échanges très construits. C’est pourquoi nous avons mis du temps à construire ce double diplôme en science politique. De plus, ce partenariat s’inscrit dans un des axes stratégiques du département de science politique, celui de développer les études africaines. Nous avons un partenariat important avec l’Université de Columbia aux Etats-Unis que nous essayons de développer avec la FESP de sorte de construire un triangle, Paris1, Columbia et FESP. Ce projet très excitant intellectuellement a pour objectif de construire un vrai contenu, un vrai échange et que cela bénéficie à l’ensemble des étudiants qu’ils soient français, égyptiens ou américains.
Notre département est très content d’avoir ce partenariat avec la FESP et je pense que cette première année se passe bien. Mais nous devons faire un retour d’expérience pour évaluer du côté égyptien comme du côté français ce qui peut être amélioré. Je pense que dans les mois ou les années à venir, nous allons améliorer le contenu, l’organisation et la coordination des cursus. Et, dans les années à venir, le projet serait peut-être d’élargir ces partenariats avec d’autres universités.
« Nous avons un partenariat important avec l’Université de Columbia aux Etats-Unis que nous essayons de développer avec la FESP »
-M. François, dans le cadre de la double diplomation en science politique, vous avez participé à une mission d’enseignement de 12 heures en sociologie politique, pouvez-vous nous décrire votre expérience d’enseignement à la FESP ?
B. F. : C’était une très bonne expérience. J’ai été très content d’avoir eu la chance d’enseigner à des étudiants autres que des étudiants français. Je peux dire qu’il n’y a pas de différence entre un étudiant égyptien et un étudiant français en termes de qualité et de formation. Les étudiants égyptiens ont reçu une très bonne formation qui leur permettra sans doute de compléter leurs études supérieures et de candidater à n’importe quelle université française de leur choix.
–M. Bonnisseau, il y a presque trois ans, le double diplôme en économie a été mis en place à la FESP en partenariat avec Paris 1, comment évaluez-vous l’expérience ?
J-M B. : La meilleure évaluation qu’on puisse en faire c’est de savoir ce que deviennent les étudiants. Or, des étudiants sortants de cette formation ont été admis en Master 2 (M2) à l’Université Paris 1 et dans d’autres universités ; certains continuent ou ont continué en doctorat ; et certains ont obtenu des bourses d’excellence. Il est clair que la formation a atteint son objectif qui est à la fois je pense de soutenir la filière francophone, de lui apporter un vrai plus avec cette double diplomation et d’améliorer la formation des étudiants, en tout cas en terme de débouchés académiques et en termes de débouchés professionnels. Ce que j’aime beaucoup dans ce double diplôme c’est que la formation des étudiants est combinée entre des cours au Caire et un complément de cours qui est apporté par des professeurs-visiteurs français. Il me semble que c’est une bonne manière de ne pas exporter complètement le diplôme. Il y a une véritable interaction et un travail sur le contenu pour arriver à monter un programme cohérent.
-Des discussions sont en cours sur la mise en place du Master Economie Théorique et Empirique de l’Université Paris 1 à la FESP. Où en sont les négociations ?
J-M. B. : Les négociations sont en cours. Je repars à Paris avec l’idée de rencontrer très prochainement mes collègues et amis car il se trouve que j’enseigne dans ce M2 un cours assez spécialisé. Je pense que le niveau de Master et le niveau de la licence sont assez différents en termes d’image, de symbole. Le fait de délivrer un master en commun est plus impliquant qu’une licence. Il y a un grand travail encore à faire sur comment accorder les formations reçues par les étudiants. Je pense qu’il faut imaginer des moyens nouveaux et peut-être un peu moins couteux que des missions comme des séminaires communs, des visioconférences, des cours en ligne…Mais j’estime qu’aujourd’hui il y a vraiment des pistes à creuser pour arriver à monter ce Master 2, qui est encore une fois la continuation naturelle de la licence. Aboutir à un diplôme de Master et puis éventuellement envisager des thèses en cotutelle, serait évidemment avoir une coopération cohérente entre la FESP et l’Université Paris 1 dans le domaine de l’économie.
-Dans le domaine de la science politique, peut-on envisager la mise en place d’un Master 2 ?
B. F. : On peut l’envisager. Je pense que nous sommes un peu moins avancé que les économistes car nous sommes encore dans une phase d’évaluation. Mais sur le fond rien qui s’y oppose. Nous rencontrerons sans doute des difficultés matérielles et de construction mais nous pouvons regarder cela de façon assez optimiste.
-Quelles sont les perspectives de coopération future entre la FESP et l’Université Paris 1 ?
B. F. : Le plus important maintenant c’est d’assurer la continuité. C’est-à-dire d’assurer la pérennité. On est en train de construire une maison et ce qui compte dans une maison tout d’abord ce sont les fondations. On est au stade où on a posé des fondations et on commence à construire les murs. Il faut vérifier que les fondations sont solides et pour le moment cela se construit bien, cela se construit dans une entente de qualité, et dans des relations de qualité. On va voir les murs se construire petit à petit et éventuellement on changera peut-être le plan de la maison, en fonction des difficultés ou des contraintes qu’on aura. Mais les fondations sont posées et c’est ce qui compte.
J-M. B. : Je pense que l’Université Paris 1 au Caire est là pour longtemps. Elle a investi en droit depuis 20 ans et dans d’autres disciplines plus récemment. C’est un partenariat stratégique pour plusieurs raisons. D’abord parce que cela nous sort de la vision francophone strictement parlant car même si c’est une formation francophone, l’Egypte est majoritairement un pays non francophone. Deuxièmement, l’Egypte est un pays africain et nous n’avons pas de coopération aussi construite avec un autre partenaire ou avec une autre ville en Afrique. Enfin, c’est aussi une relation qui s’inscrit dans une ligne de coopération avec le monde arabe en général et le monde méditerranéen en particulier. Nous ne sommes pas là pour quelques années ou quelques promotions et ce d’autant plus que la qualité de la formation des étudiants d’aujourd’hui est d’autant plus grande qu’il y a des anciens qui sont passés il y a 10-15 ans et qui témoignent, qui ont de bonnes positions, donc qui recrutent des jeunes.
-Au cours de la conférence sur la recherche tenue à l’Institut français d’Egypte, les entraves notamment financières à la recherche ont été abordées. Votre université offre-t-elle d’autres possibilités de financement que le contrat doctoral ?
J-M. B. : Pour faire une thèse dans de bonnes conditions il est important d’avoir un contrat doctoral de l’université. Mais d’autres sources de financement existent comme par exemple les contrats de différents dispositifs d’excellence, ceux de la région et ceux des programmes Erasmus Mundus. Mais il n’y aura jamais assez de financement pour tous les étudiants qui souhaiteraient faire une thèse à Paris 1. Au-delà de cette question du financement, je pense que l’articulation entre le Master (M) et le Doctorat (D) dans le système européen pose problème car il donne l’impression qu’avec un Master 2 on peut entrer en doctorat. Or la plupart du temps, c’est durant l’année de M2, et donc avant le doctorat, que la rencontre triple entre un étudiant, un directeur de thèse et un sujet de thèse se concrétise. D’où la difficulté pour un étudiant égyptien ou n’importe quel étudiant étranger de s’inscrire en thèse sans avoir eu une relation, une vérification de ses capacités souvent à travers le mémoire de master qui joue un rôle fondamental dans l’évaluation. Il faut songer à des éléments de réalisation de la thèse à travers une mobilité. Mais il s’agit de constructions délicates sur lesquelles il faut faire attention aux détails. Il y a en général une méconnaissance de la construction réelle d’un environnement positif et porteur d’un doctorant.
B. F. : S’inscrire en thèse ce n’est pas le même acte que s’inscrire à une licence ou à un autre diplôme. La thèse c’est produire de la connaissance dans une relation avec un directeur de thèse, un laboratoire, d’autres collègues. C’est un peu se plonger dans l’inconnu parce que pendant quelques années l’étudiant va devoir produire de la connaissance qui n’existe pas avec des gens qui sont capables de l’aider à la produire et qui vont consacrer du temps à l’aider à produire cette connaissance dans une relation de confiance. Il y a donc une rupture dans le rapport au monde académique entre la partie Licence/Master et la partie Doctorat.
-Les départements peuvent-ils développer des partenariats, des coopérations avec des ONG ou des laboratoires de recherche pour financer les étudiants ?
J-M. B. : Les centres de recherche et les écoles doctorales, concernés par l’encadrement doctoral, sont encouragés à chercher des financements complémentaires (auprès des entreprises, des collectivités locales, des organisations internationales…). Mais il est vrai qu’aujourd’hui c’est un peu plus difficile dans les domaines SHS, le grand domaine de l’Université Paris 1. Dans des domaines comme les nanotechnologies, l’écologie appliquée, qui sont les grands défis de demain de la planète toute entière ou dans le domaine de l’énergie par exemple, beaucoup d’entreprises, d’organismes ou de gouvernements sont prêts à investir fortement.
B. F. : Evidemment on peut et on doit même le faire. Un enjeu très important en France est celui de la valorisation du doctorat dans le parcours professionnel. Alors que dans des pays européens comme l’Allemagne le doctorat a une signification forte sur le plan professionnel, pour le moment en France, les doctorats en sciences humaines et sociales ont une faible signification. Cela est en train de changer car il existe une compétition internationale des diplômés et certains recruteurs étrangers préfèrent recruter un docteur. Mais ce n’est pas que le titre de docteur qui compte. Le doctorat est une expérience de formation qui doit amener une plus-value très importante dans la formation et dans les savoir-faire.
« La thèse c’est produire de la connaissance […].Le doctorat est une expérience de formation qui doit amener une plus-value très importante dans la formation et dans les savoir-faire. »
J-M. B. : Je pense que le doctorat est une épreuve extrêmement formatrice, un investissement très lourd pour un étudiant. Il y a une sorte d’imaginaire collectif sur le doctorant qui ne ferait pas grand-chose, qui rédigerait quelque chose. La thèse et être docteur c’est vraiment le signe d’une formation exigeante qui donne des compétences que n’ont pas même les plus brillants élèves sortant de très grandes écoles françaises. Le docteur passe par des exigences très profondes, doit montrer sa détermination, ses capacités à produire de la connaissance, ce qui est complètement différent d’apprendre de la connaissance ou retravailler de la connaissance.
Entretien réalisé par Nahed Alaa Shalan