Bertrand Badie, « Le Temps des humiliés »
Publié le 1 avril 2014
Bertrand Badie, « Le Temps des humiliés », Institut français d’Egypte, 31 mars 2014
[slideshow id=17]Bertrand Badie, professeur des universités à Science Po et spécialiste des relations internationales, a présenté la thèse de son dernier ouvrage « Le Temps des humiliés » édité chez Odile Jacob. La conférence organisée par la FESP, l’IFE et le CEDEJ, était modérée par Bernard Rougier, professeur de science politique et directeur du CEDEJ.
Bertrand Badie postule que l’humiliation est un devenu le jeu normal des relations internationales. Il explique que trois facteurs sont à l’origine de ce changement de règles du jeu :
- L’irruption des sociétés dans le jeu international. La guerre s’est rapprochée des sociétés ; elle devient sociale. Si la nation est défaite elle est alors humiliée.
- La mondialisation. L’ouverture à de très grands nombre d’acteurs sur la scène internationale a conduit à des inégalités entre Etats.
- L’arrivée de cultures différentes sur la scène internationale. Avec la décolonisation on entre dans la pluralité culturelle.
Par ailleurs, deux échecs/ruptures sur la scène internationale ont joué un rôle majeur :
- Le dérèglement de la puissance, qui était l’unique médiateur sur la scène internationale. Le jeu de la puissance suppose que les acteurs soient tous puissants. Or, pour la première fois, l’histoire est écrite par les faibles et c’’est l’anti-puissance qui mène le monde. La puissance quant à elle est de plus en plus impuissante.
- Le multilatéralisme, qui aurait pu être un remède contre l’inégalité entre Etats, mais qui est mort-né.
Bertrand Badie distingue alors quatre types d’humiliations récurrentes :
- Le rabaissement qui fait descendre un Etat à un niveau inférieur de statut et qui le fait se sentir agressé. Par exemple, l’exclusion du vaincu lors de négociations de paix, phénomène apparu pour la première fois lors du traité de Versailles, est devenu une pathologie récurrente.
- Le déni d’égalité. Les Etats ne jouent pas dans la même division. La scène internationale reproduit à l’infini un système aristocratique.
- L’humiliation par relégation. De nombreux conflits (Congo, Timor oriental, Palestine…) ne trouvent pas la même attention sur la scène internationale.
- L’humiliation par stigmatisation à l’exemple de l’islamophobie, de la sinophobie, de la russophobie depuis l’annexion de la Crimée par la Russie à travers une manipulation de l’opinion publique.
Finalement, selon Bertrand Badie, le système international repose sur trois types d’inégalités :
- L’inégalité constitutive liée à la mémoire de la colonisation qui concerne la majorité des Etats membres des Nations Unies et ne cesse de rejaillir sur la scène internationale contemporaine.
- L’inégalité structurante. A l’exemple de la dénonciation de la Turquie et du Brésil qui tentent d’intervenir dans les négociations internationales. Les pays émergents sont relégués à des puissances moyennes élégantes qui ne sont pas admises au G7 ou au G8.
- L’inégalité fonctionnelle qui tient à la gouvernance du monde sur un mode privatif capté par un petit nombre de puissances.
Pour conclure, Bertrand Badie insiste sur trois points :
- La crispation souverainiste ballotée par le multilatéralisme
- La mobilisation des sociétés, paramètre souvent négligé dans les relations internationales.
- L’émergence de deux nouvelles formes de diplomatie dans une réaction anti-humiliation : la diplomatie de contestation et la diplomatie de déviance. Cependant ces diplomaties peuvent être dangereuses car les règles de résolution de conflits sont alors bousculées.