• Hoda Selim et Chahir Zaki – « La gestion du taux de change : y a-t-il encore une marge de manœuvre? »

    Publié le 2 juillet 2012

    Hoda Selim, économiste à l’Economic Research Forum et Chahir Zaki, Maître de Conférences à la Faculté d’Economie et de Sciences Politiques, nous offrent un éclairage sur le problème de l’épuisement des réserves de change auquel fait face l’économie égyptienne actuellement et les efforts à déployer pour le résoudre.

    Un épuisement des réserves de change : de quel problème parle-t-on ?

    Au lendemain de la révolution du 25 Janvier 2011, l’économie égyptienne a connu de nombreuses difficultés dont une chute du taux de croissance du PIB (de 5,5% en 2010 à 1,8% en 2011) et une augmentation du taux de chômage qui a atteint 12,4% en mars 2012. De plus, à cause de l’instabilité politique qui a créé un climat d’incertitude, les revenus du tourisme ont également baissé et les capitaux étrangers ont connu une fuite sans égale à tel point que le compte de capital est devenu déficitaire pour la première fois depuis 2004. En effet, après avoir enregistré une entrée nette de 7,8 milliards de dollars, les investissements de portefeuille ont connu une sortie nette équivalente à 2,5 milliards de dollars. De plus, les investissements directs étrangers ont baissé de  6,7 milliards de dollars en 2010 à 2 milliards de dollars en 2011 (3,1% contre 0,9% du PIB). Finalement, l’indice boursier EGX30 ayant perdu un tiers de sa valeur, la capitalisation boursière est passée de 35% du PIB en décembre 2010 à 21,6% du PIB en janvier 2012. Ainsi, tous ces facteurs combinés ont réduit la demande adressée à la livre égyptienne (LE) qui devrait subir une forte dépréciation. Toutefois, la valeur de la monnaie n’a baissé que d’environ 4% en passant de 5,79LE le dollar en décembre 2010 à 6,03LE en avril 2012. Pour faire face à ces pressions, la Banque Centrale d’Egypte (BCE) a dû déployer certaines mesures telles que d’imposer des restrictions sur les transferts bancaires à l’étranger. Mais en réalité, la BCE a réussi à éviter une forte dépréciation de la valeur de la monnaie au détriment d’un épuisement des réserves de change qui sont passées de 36 milliards de dollars en décembre 2010à 15 milliards en avril 2012. Cependant, il est clair qu’une telle politique « défensive » n’est plus tenable en raison de la baisse continue des recettes de devises et du climat d’incertitude qui ne fait qu’aggraver la situation.

    « Dans la mesure où les prix (les taux de change) sont demeurés relativement stables cela signifie que ce sont les quantités (les réserves de change) qui  ont assuré l’ajustement sur le marché. »

    Quelles alternatives pour le court terme et le long terme ?

    La théorie économique nous a appris que l’ajustement d’un marché quelconque a lieu soit par les prix soit par les quantités. Si l’on maintient constante l’une des deux variables, il faut laisser l’autre s’ajuster. Dans la mesure où les prix (les taux de change) sont demeurés relativement stables cela signifie que ce sont les quantités (les réserves de change) qui ont assuré l’ajustement sur le marché. Ainsi, dans le contexte égyptien actuel, il s’avère plus judicieux de considérer des solutions qui donnent plus de marge de fluctuations à la LE pour pouvoir sauvegarder ce qui reste des réserves de change. A court terme, nous proposons deux solutions qui pourraient réduire les pressions sur les réserves de change tout en permettant une dévaluation graduelle du taux de change. Premièrement, la BCE pourrait simplement tolérer une plus large marge de fluctuations de la LE.  Deuxièmement, « une parité à crémaillère » ou en anglais crawling peg permettrait de mener des révisions successives de faible amplitude et annoncées à l’avance des parités de change. Il faut signaler que si une dépréciation de la LE peut être bénéfique aux exportations et au tourisme, elle peut aussi avoir des effets pervers comme une inflation plus importante du fait de l’augmentation de la facture des importations qui seraient désormais plus chères ou une dollarisation des dépôts bancaires. Néanmoins, certaines études ont montré qu’en Egypte l’inflation ne réagit pas significativement à la dépréciation, d’autant plus qu’au lendemain du flottement de la LE en 2003 l’Egypte a connu une très faible dollarisation des dépôts. Il va sans dire qu’un environnement politiquement stable susceptible de réduire l’incertitude est nécessaire pour stimuler le tourisme et le retour des investisseurs étrangers afin d’augmenter les recettes de devises et par conséquent les réserves de change. A long terme, il faudrait développer les sources de devises étrangères en Egypte, mettre en place une politique industrielle créant un secteur manufacturier solide capable d’exporter des produits compétitifs et rendre la BCE plus indépendante pour qu’elle puisse mieux contrôler l’inflation et réduire le ciblage du taux de change.