• Ibrahim Awad – Révolution, emploi et émigration en Égypte

    Publié le 7 mai 2014
    Ibrahim Awad

    Ibrahim Awad, professeur au département de politiques publiques et de l’administration de l’Université américaine du Caire

    Ibrahim Awad, professeur au département de politiques publiques et de l’administration de l’Université américaine du Caire, ancien directeur du bureau régional de l’organisation internationale du travail en Afrique du Nord et spécialiste d’économie politique, du marché du travail, de l’émigration et des droits des travailleurs discute dans son article l’implication de la révolution sur l’émigration des jeunes égyptiens.

     Après une léthargie politique prolongée, la révolution de 2011a insufflé de l’enthousiasme dans la jeunesse égyptienne.  De jeunes Égyptiens étudiants ou résidants dans différentes régions du monde revinrent au pays pour participer avec leurs compatriotes dans les événements qui réveillaient le pays et lui promettaient un avenir à la hauteur de leurs espérances. 

    Cependant, certains observateurs, surtout à l’étranger, s’attendaient à des vagues d’émigration émanant d’Égypte, comme de Tunisie d’ailleurs, du fait précisément des révolutions et des changements politiques que les deux pays expérimentèrent au début de la décennie en cours. L’instabilité politique, pensaient-ils, ralentirait l’activité économique produisant une crise de l’emploi et engendrant des vagues incontrôlables d’émigration. Le raisonnement ne manquait pas de logique. Cependant, il n’en a rien été de cette émigration massive si crainte, tout particulièrement au nord de la Méditerranée. Les chiffres publiés par les pays d’accueil ne montrent pas d’augmentation vers eux de la migration égyptienne.  

     

    « La situation économique et celle de l’emploi sont certes essentielles pour comprendre le potentiel migratoire d’un pays. Il n’en est pas moins clair cependant que l’espoir peut annuler les effets escomptés de ce potentiel. »

     

    Deux enquêtes menées auprès de la jeunesse égyptienne en automne 2012 et en hiver 2013 révélèrent que parmi elle les désirs d’émigration n’avaient pas augmenté depuis janvier 2011. Les jeunes Égyptiens souhaitaient rester dans leur pays et contribuer à sa reconstruction et à son développement. Ils voulaient participer à la réalisation des objectifs de liberté, de dignité et de justice sociale que les Égyptiens s’étaient fixés. La situation économique et celle de l’emploi sont certes essentielles pour comprendre le potentiel migratoire d’un pays. Il n’en est pas moins clair cependant que l’espoir peut annuler les effets escomptés de ce potentiel. C’est cet espoir qui faisait que les jeunes Égyptiens ne pensaient pas à l’émigration plus qu’ils ne l’avaient fait avant 2011. 

    Le maintien de l’espoir dépendra du progrès réalisé sur le chemin menant vers les objectifs de la révolution. Parmi ceux-ci, certains comme ceux de la liberté et de la dignité, peuvent et doivent être mis en œuvre sans attendre. La justice sociale, d’importance majeure pour la cohésion et la stabilité du pays, est plus complexe. Elle implique surtout la satisfaction des droits économiques et sociaux des citoyens et l’amélioration de leurs niveaux de vie. Les Égyptiens, comme tout autre peuple, du nord comme du sud, de l’est comme de l’ouest, sont réalistes. Ils admettent que la réalisation de la justice sociale, ainsi comprise, ne peut être que progressive. Mais il y a un minimum à mettre en œuvre dans l’immédiat. Il faut également que la population ressente qu’un effort sérieux est réalisé et que le mouvement vers l’objectif de justice sociale est soutenu.

    Le chômage et la pauvreté sont des indicateurs de l’absence de justice sociale. Les dernières données statistiques publiées situaient leurs taux respectifs à 13% et 25%. Ces taux ont été en courbe ascendante continue durant ces trois dernières années. Si cette tendance persiste dans le moyen terme, l’espoir pourra être brisé. S’il l’est, l’émigration réapparaîtra comme une alternative souhaitée par la jeunesse égyptienne. 

    Mais les souhaits ne sont pas le facteur déterminant de la transformation du potentiel migratoire en flux réels. Les politiques d’immigration des pays d’accueil le sont beaucoup plus. Ainsi l’a montré une étude de la Banque mondiale il y a quelques années. Les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et, subsidiairement, ceux de l’Union européenne (UE), sont les destinataires essentiels de la main d’œuvre égyptienne. Les politiques de ces pays sont strictes. Celles des pays de l’UE le sont de plus en plus. Elles ne sont pas près d’être assouplies.

    Confrontée au chômage et à la pauvreté à l’intérieur et sans perspective à l’extérieur, la colère de la jeunesse peut repartir de plus belle. Le progrès sur le chemin de la justice sociale est essentiel pour le présent et l’avenir du pays.