• Interview Amr El Shobaki

    Publié le 11 mars 2012

    Un pas vers la démocratie

    Elu au Parlement depuis quelques mois, Amr El Shobaki nous présente son parcours, les priorités de son mandat et sa réflexion sur la situation politique actuelle en Egypte.

    Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre parcours?

    Après avoir obtenu mon diplôme de la Faculté d’Economie et Science Politique en 1984, j’ai suivi des études en France et soutenu en 2001 ma thèse de doctorat à l’Université Paris 1 sur les Frères Musulmans. J’ai toujours été un activiste au vrai sens du terme. J’étais contre l’accord du Camp David et j’ai notamment participé à la création de mouvement Kefaya. A partir de 1997 j’ai travaillé au Centre d’Etudes Stratégiques et Politiques d’Al Ahram jusqu’à devenir Directeur de l’Unité d’Etudes Arabe-Européennes. J’ai bien sûr participé à la révolution, mais je suis convaincu que cette révolution n’est qu’un moyen d’atteindre la démocratie et non un but en soi.

    Pourquoi avez-vous créé un centre de recherches (Forum Arabe pour les Alternatives) et comment voyez-vous son rôle?

    Ce centre a été créé car nous avons vraiment besoin d’un centre de recherches indépendant. Je ne suis que président du conseil consultatif de ce centre et j’ai décidé de ne diriger ce centre que sous une seule condition : l’existence d’un dépôt, émanent d’un financement national et que par suite, une partie de ce dépôt soit utilisé dans le financement de ce centre. Le centre compte un nombre assez important de chercheurs, diplômés de la Filière francophone de la Faculté d’Economie et Science Politique, spécialisés dans différents domaines. Ce centre sera le premier projet de centre de recherches en Egypte dans la période à venir, et, mon projet futur, est la création de ce dépôt, pour en faire un centre indépendant.

    Comment voyez-vous le rôle de la Filière?

    La Filière a joué un rôle très important duquel nous sommes tous fiers. C’est grâce à elle que nous avons maintenant un grand nombre de chercheurs distingués. La Filière leur a donné l’opportunité de s’ouvrir à des cultures différentes, soit par leurs voyages en France ou vers d’autres pays de l’Europe, ce qui leur a permis d’acquérir une meilleure ouverture d’esprit, des connaissances, une meilleure façon de travailler ainsi que de contribuer de manière efficace au débat public.

    Quelles sont les différentes thématiques sur lesquelles vous désirez mettre l’accent durant votre mandat ?

    Je souhaite en particulier travailler sur le choix d’une commission constitutive pour la composition d’une constitution consensuelle. Par ailleurs, il est essentiel d’établir en Egypte une restructuration de l’Etat et de ses institutions, ce qui veut dire une réforme institutionnelle pour sortir du statut de « faillite de l’Etat ». J’entends par réforme institutionnelle, une restructuration du ministère de l’intérieur et des services de sécurité, du pouvoir judiciaire, ainsi que du système administratif de l’Etat. De même, il est primordial de créer des relations civiles-militaires contrôlées par des règles  démocratiques.

    Quel rôle peuvent jouer des députés minoritaires au sein du Parlement ?

    Tout d’abord la question majorité/minorité fait partie des règles du jeu de la démocratie. Je n’ai aucun conflit avec la majorité au Parlement. Dans un temps où les Egyptiens avaient peur même de saluer les Frères musulmans, j’insistais sur le fait de les inclure dans la vie politique. Il est important aussi de noter que cette culture de la « peur » fait partie de la culture du régime de Moubarak. Le fait d’avoir peur des islamistes n’est qu’’un fantasme. L’essentiel est de faire avancer le débat avec eux sur des thèmes spécifiques tels que l’éducation, la santé publique et la politique étrangère par exemple. Et c’est à ce niveau que nous pouvons identifier les points de divergence et de convergence.

    Comment décrivez-vous la situation actuelle ?

    La situation actuelle en Egypte me paraît ambigüe. Je suis inquiet du risque de reproduction de l’ancien régime sous une forme nouvelle, ou pour être plus précis, je suis inquiet de la domination d’un certain courant politique sur les organes de l’Etat en Egypte au détriment des autres courants existants. Ceci veut dire qu’au lieu d’avoir une presse soumise à Moubarak, elle devient soumise au nouveau gouvernement et au nouveau parti. Nous avons besoin d’une police et d’une presse publique soumises aux besoins publics et non pas à un système politique. Beaucoup d’efforts doivent être déployés pour atteindre un tel objectif. La révolution reste dans une phase adolescente, trop concentrée sur des questions mineures telles que : « pas de constitution ni de président sous le pouvoir militaire ». Je pense qu’il faut commencer à se faire une vision plus objective, et étudier les moyens de protéger la neutralité de l’armée égyptienne, ainsi que le pouvoir législatif. Finalement, il faut se concentrer sur les réformes institutionnelles comme ça a été le cas dans tous les pays en transition démocratique.

    Où en sommes-nous maintenant ?

    Nous sommes à présent coincés entre deux courants qui sont tout à fait divergents. Le premier est un courant révolutionnaire protestataire, ne proposant aucune alternative et nous emportant vers l’inconnu, et en contrepartie, un second courant très conservateur, qui refuse le concept du changement. Ce qui nous faut donc maintenant, c’est d’en créer un troisième, ayant la volonté de changer tout en offrant assez d’alternatives.

     

    Entretien réalisé par Perihan Mansour