Passant Mahmoud et Moustafa Khattab, diplômés de la Filière respectivement en 2011 et 2010 nous racontent dans cette interview leurs expériences professionnelles depuis l’obtention de leurs diplômes. Et nous expliquent la nature de leur travail au Haut Commissariat des Réfugiés des Nations Unies.
Passant, quel chemin as-tu parcouru depuis l’obtention de ton diplôme en 2011?
J’ai commencé mon parcours professionnel avant l’obtention de mon diplôme, en effectuant deux stages de deux mois à la ligue des Etats Arabes en 2009 et en 2010. En 2011, après avoir reçu mon diplôme en sciences politiques, j’ai décidé de m’inscrire au programme de Magistère de la Faculté d’Economie et Sciences politiques de l’Université du Caire. Quelques mois plus tard j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage de six mois au sein de OXFAM GB, une ONG internationale à vocation humanitaire, qui s’intéresse aux causes liées à la pauvreté, aux réfugiés, au développement, à l’éducation, et à l’égalité des genres dans les pays en développement. En juillet 2012, j’ai travaillé pour Greenpeace, une ONG internationale qui milite pour les questions environnementales et écologiques. En septembre 2012, j’ai commencé à travailler pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Tout d’abord en tant qu’assistante à l’enregistrement des demandeurs d’asile notamment de la part de Syriens, puis en tant que « Team Leader » de l’équipe d’enregistrement, ensuite au sein du département de l’information publique et des relations externes. Actuellement j’occupe le poste d’assistante principale de la protection des réfugiés.
Moustafa, peux-tu nous donner un aperçu de ton parcours depuis l’obtention de ton diplôme en 2010?
En 2010-2011, j’ai effectué un Master 2 professionnel en Relations internationales et Politiques de Sécurité à l’Université Toulouse 1 Capitole. Dans le cadre de ce Master j’ai fait un stage de trois mois au Conseil du Ministère des Affaires étrangères de l’Egypte au Caire. Puis, j’ai travaillé pendant deux mois au «National Democratic Institute» en Egypte, une organisation américaine non-gouvernementale à but non-lucratif qui soutient les pratiques démocratiques telles que le multipartisme, la liberté de vote, la transparence des élections, la gouvernance et la responsabilisation. Mon rôle consistait à motiver les citoyens à participer aux élections parlementaires qui se sont tenues en 2011 en Egypte.
« Il ne suffit pas d’avoir la passion pour quelque chose, il faut posséder également l’ardeur et la volonté pour participer activement à la résolution de ces problèmes ». Passant Mahmoud
A partir de novembre 2012 j’ai effectué un stage de cinq mois au siège du Fonds international de Développement agricole (FIDA) à Rome. FIDA est une agence des Nations Unies spécialisée dans la garantie de la sécurité alimentaire et de la prévention des famines principalement dans les pays les plus pauvres et les plus démunis. Finalement, depuis août 2013 je travaille en tant que volontaire au HCR où j’assiste à la détermination du statut des réfugiés.
Passant, tu travailles depuis septembre 2012 au HCR, peux-tu nous en parler d’avantage?
Comme je l’ai mentionné, j’ai travaillé dans trois différents départements du HCR. Ma première mission consistait à faire passer des entretiens aux demandeurs d’asile ou aux réfugiés afin de construire un profil général de chaque cas. J’ai été par ailleurs promue responsable de l’équipe d’enregistrement des réfugiés lors des missions effectuées hors du Caire. J’ai occupé mon deuxième poste au sein du département d’information publique et des relations externes. Ma prise de fonction a coïncidé avec la période où le gouvernement égyptien, soutenu par les médias, a conduit une campagne contre les réfugiés syriens et leur a imposé de nouvelles restrictions. Ma mission principale était d’aider à élaborer une autre campagne médiatique afin de soutenir ces réfugiés et de clarifier leur situation réelle. En coordination avec les ambassades étrangères en Egypte nous avons exercé une pression sur le gouvernement égyptien afin de libérer les réfugiés détenus dans les prisons. Quant à ma mission actuelle au département de la protection des réfugiés, mon rôle est d’assurer la légalité de la présence des réfugiés, de leur garantir tous leurs droits, d’empêcher leur emprisonnement, de prévenir leur refoulement – acte de rapatriement par force contre la volonté des réfugiés. Nous portons un intérêt spécifique aux cas les plus vulnérables comme les enfants et les femmes.
« Depuis que j’ai effectué mon Master 2, j’ai réalisé que je voulais travailler pour la cause humanitaire. Et le Haut Commissariat des Réfugiés est un bon exemple d’organisation défendant cette cause. » Moustafa Khattab
Moustafa, tu travailles également au HCR mais dans un département différent, en quoi consiste ton travail?
Je travaille en tant qu’assistant pour déterminer le statut des réfugiés. Mon travail consiste essentiellement à effectuer des entretiens avec des demandeurs d’asile. Il s’agit de dégager les problèmes essentiels dont souffre le demandeur d’asile pour savoir s’il peut être considéré comme réfugié. Après l’entretien, je dois effectuer une évaluation de la situation pour recommander une décision concernant son cas. Parallèlement, je dois aussi faire des recherches sur les situations politique, économique et sociale dans les pays d’origine des demandeurs d’asile, notamment savoir s’il y a une guerre civile, un conflit et les différentes ethnicités.
Passant et Moustafa, vous avez travaillé et effectué plusieurs stages dans différentes organisations, pourquoi avez-vous choisi de travailler pour la cause des réfugiés?
P.M.: Après mon expérience à Oxfam, j’ai découvert que j’ai une passion pour le travail pour les causes humanitaires, mais essentiellement pour la cause des réfugiés. Comme vous le savez, les réfugiés sont toujours les victimes d’une situation interne tragique causée par des violences que ce soit pour des raisons politiques, ethniques ou même économiques. Pourtant, il ne suffit pas d’avoir la passion pour quelque chose, il faut posséder également l’ardeur et la volonté pour participer activement à la résolution de ces problèmes. De nombreuses régions dans le monde sont le terrain de violence où des gens souffrent et ont besoin de notre secours. Il ne faut pas attendre, il faut agir.
M.K.: Depuis que j’ai effectué mon Master 2, j’ai réalisé que je voulais travailler pour la cause humanitaire. Et le HCR est un bon exemple d’organisation défendant cette cause. De plus, le bureau du HCR en Égypte offre l’opportunité d’acquérir une bonne expérience professionnelle qui peut vous ouvrir de nouveaux horizons de travail dans le futur. Je suis également d’accord avec Passant sur le fait qu’il faut que nous agissions positivement et qu’il ne faut pas se contenter d’être passionné.
Passant, peux-tu nous donner plus de détails sur l’état actuel des réfugiés en Egypte?
Le nombre total de réfugiés enregistrés auprès du HCR est de près de 200 000. Les réfugiés sont principalement Soudanais, Éthiopiens, Érythréens, Somaliens et Irakiens.
Je travaille essentiellement avec la mission chargée des Syriens. Il y a près de 130 000 réfugiés syriens enregistrés. Nous coopérons systématiquement avec les organisations internationales non gouvernementales et les Nations Unies pour leur fournir différentes formes d’assistance, comme l’assistance financière, la garantie d’une bonne nutrition, des bourses d’études et l’aide juridique. Les principales institutions avec lesquelles nous travaillons sont Save the Children, Terre des Hommes, le Secours catholique, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies et Caritas. Parmi ces 130 000 réfugiés syriens, il existe des milliers des mères célibataires et d’enfants non accompagnés auxquels nous accordons une attention particulière.
Moustafa, tu es responsable de la détermination des statuts des réfugiés, quels sont les critères sur lesquels vous-vous basez?
Les critères sont fixés conformément à la Convention de Vienne et à celle de l’Union africaine. Le demandeur d’asile doit être en dehors du territoire de son pays d’origine, il doit avoir été confronté à un problème grave comme la persécution sur la base de l’ethnicité, de l’appartenance politique, ou de la croyance religieuse… Les réfugiés sont donc issus des pays qui souffrent de graves violences internes et dont la vie devient impossible à cause de certaines circonstances. Ces personnes ont le droit d’acquérir le statut de réfugiés après examen de leur dossier. Le gouvernement égyptien gère le dossier des personnes pour lesquels le statut de réfugié n’est pas accordé et parfois nous aidons au rapatriement de ces personnes.
A quel point les lois égyptiennes sont conformes aux lois internationales?
P.M.: En juillet 1951, l’Egypte a signé la Convention sur les Réfugiés. En mai 1981, elle a ratifié la Convention et son Protocole de 1967, mais avec certaines réserves sur cinq dispositions, à savoir l’article 12 (1) du statut personnel, l’article 20 sur le rationnement, l’article 22 (1) sur l’accès à l’enseignement primaire, l’article 23 sur le secours et l’assistance publique et l’article 24 sur le droit au travail et à la sécurité sociale. Alors que l’Egypte a émis une réserve à l’encontre de l’article 22(1) en niant aux réfugiés leur droit d’accès aux écoles publiques, le ministère de l’Éducation égyptien a publié le décret ministériel n°24 en 1992 permettant aux enfants de réfugiés reconnus, provenant du Soudan, de la Libye, de la Jordanie et les demandeurs d’asile politiques d’intégrer les écoles publiques. Récemment un nouveau décret issu en 2012 permet aux Syriens de fréquenter les écoles publiques.
L’Egypte n’a pas émis de réserve à l’encontre des articles 17 et 18 de la Convention sur les Réfugiés qui protègent le droit des réfugiés à l’accès au marché du travail. Pourtant, les permis du travail égyptien sont difficiles à obtenir. L’article 11 de la résolution ministérielle égyptienne sur l’emploi de 1982 exige la preuve de la part de l’employeur qu’aucun ressortissant égyptien n’est disponible pour le même poste avant qu’un permis ne puisse être délivré.
« Les principaux défis pour toute opération humanitaire sont les fonds et les gouvernements obstinés. » Passant Mahmoud
Quels sont les obstacles que vous rencontrez pour achever vos missions?
P.M.: Les principaux défis pour toute opération humanitaire sont les fonds et les gouvernements obstinés. Les fonds, car ils limitent l’efficacité des projets, et les gouvernements obstinés quand il s’agit de question de politique d’accueil des réfugiés et la protection de la sécurité nationale.
M.K.: Premièrement, le grand nombre des réfugiés que nous recevons. Personnellement, je gère six entretiens par semaine. Je dois préparer des rapports détaillés toutes les semaines et traiter chaque cas séparément en créant pour chacun un dossier transparent et crédible comportant toutes les informations nécessaires pour déterminer si on va accorder le statut de réfugié à la personne concernée. Le rapport fait 10 à 12 pages par cas donc au total cela fait près de 70 pages à rédiger par semaine. C’est un travail énorme qui demande un grand effort. Deuxième obstacle, le temps nécessaire pour arriver à la décision finale. En général la décision sur le statut de réfugié prend trois mois. L’enregistrement final peut prendre une année, voire plus dans certains cas. Troisième obstacle, la situation politique et les problèmes d’insécurité en Egypte. En 2011, l’office des réfugiés a rencontré de nombreux problèmes liés au manque de sécurité. Plusieurs réfugiés ont été les victimes d’agressions et d’attaques. Finalement, la question financière est aussi très importante.
Que retenez-vous de vos années d’études à la FESP?
P.M.: Mes années d’étude à la FESP ont été très fructueuses. J’ai beaucoup appris quand j’étais étudiante. Plusieurs cours m’ont été utiles surtout ceux de Droit international public, Droit constitutionnel et Droits de l’Homme. Grâce à ma formation à la FESP dont je me sers beaucoup pendant mon travail, je suis capable d’entreprendre mon travail non seulement d’un point de vue humanitaire mais aussi en ayant la connaissance suffisante pour comprendre les dimensions politiques, juridiques et même économiques.
M.K.: J’ai beaucoup bénéficié de mes années d’études à la FESP. Par exemple, comme je viens de le dire, la recherche est un facteur très important pour notre travail. Et je m’aide de la méthodologie de recherche que j’ai apprise quand j’étais étudiant. Grâce à la formation reçue, je maîtrise les différents types de recherche et les outils nécessaires. Plusieurs cours ont été également très utiles dont je ne réalisais pas l’intérêt comme le cours de Politique africaine qui traitait des systèmes politiques africains. C’est très lié à la nature de mon travail dans la mesure où la plupart des réfugiés sont d’origine africaine.
« J’ai beaucoup bénéficié de mes années d’études à la FESP. […] Grâce à la formation reçue, je maîtrise les différents types de recherche et les outils nécessaires. » Moustafa Khattab
Quels sont vos projets pour l’avenir?
P.M. : Sur le plan professionnel je compte continuer à travailler pour la cause des réfugiés mais en explorant d’autres dimensions. Par exemple, je souhaite travailler dans des camps de réfugiés pour avoir un contact plus direct et permanent avec ces personnes. Sur le plan académique je suis actuellement à la recherche d’un Master qui me permettra d’approfondir mes connaissances sur les questions professionnelles pour produire une connaissance scientifique basée sur des faits.humanitaires et d’évoluer sur le plan professionnel. J’aimerais également profiter de mon expérience
M.K.: Pour l’instant je voudrais continuer à travailler pour le HCR. Et pour le futur proche comme Passant j’aimerais exploiter de nouveaux domaines d’expérience en relation avec la cause des réfugiés.
Qu’est-ce que vous aimez faire en dehors de vos responsabilités du travail?
P.M: J’aime beaucoup la lecture, surtout celle des romans policiers, parce qu’ils vous aident à développer et forger vos capacités d’analyse et d’anticipation. Et depuis deux mois, j’ai commencé à faire du Yoga, un sport spirituel qui purifie l’âme et l’esprit et vous apprend à devenir patient.
M.K.: J’effectue régulièrement du sport. J’aime également le voyage parce que cela permet de se débarrasser du stress de la vie quotidienne, de découvrir de nouvelles cultures, d’apprendre des choses nouvelles et d’avoir des amis dans tous les coins du monde.
Entretien réalisé par Nahed AlaaEldin Shalan