Zeyad Wagdi, coordinateur associé des programmes à l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime depuis 2010 et ancien diplômé de la Filière, nous livre dans cette interview son parcours professionnel ainsi que la nature de son métier actuel tout en discutant des sujets vifs liés à la mission de l’ONUDC.
Peux-tu nous donner un aperçu de ton parcours depuis l’obtention de ton diplôme ?
J’ai commencé mon parcours en même temps que je poursuivais mes études. J’ai travaillé avec des ONG, comme « Planet Finance » où j’ai participé à une enquête sur l’impact des microcrédits en Egypte. J’ai travaillé également pour « Médecins du Monde » en tant qu’assistant du coordinateur général sur des projets relatifs à la santé des enfants des rues. Puis, comme traducteur et secrétaire pour la mission militaire à l’ambassade de France. Depuis 2010, je travaille auprès du bureau régional du Caire de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), en tant que responsable de gestion des projets de lutte contre le trafic illicite des migrants et de la réforme sécuritaire. Plus récemment, j’ai été sélectionné pour une bourse d’étude grâce à la Filière pour faire le Master « Sécurité internationale » à l’Université de Nice et ainsi enrichir mon parcours.
-Peux-tu nous parler en détail de la mission de l’ONUDC ?
La mission de l’ONUDC est de fournir de l’aide technique aux différents gouvernements en fonction de leur besoin. Il s’agit d’une institution purement technique et entièrement apolitique. Elle travaille sur les conventions et les traités internationaux relatifs aux crimes transnationaux organisés, au terrorisme, à la corruption et au trafic illicite des migrants, des armes et des êtres humains. Et par ce biais, le bureau régional du Caire pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord apporte un soutien technique aux autorités concernées par l’application de la loi, comme les ministères de l’intérieur et de la justice. Par exemple, après la guerre civile en Libye, il y a eu un énorme flux de trafic illicite d’armes à travers les frontières et donc nous travaillons en étroite coopération avec les autorités égyptiennes pour mettre fin à ce phénomène. Nous travaillons sur trois axes principaux. Le premier concerne la conformité législative des pays avec les traités et les conventions ratifiés. Le deuxième axe est celui de la formation ; nous travaillons sur le renforcement des capacités des officiers de police, des magistrats et des juges sur les sujets relatifs à notre mission. Le troisième axe concerne l’organisation de campagnes de sensibilisation par exemple pour la prévention de la migration illicite à travers une coopération avec les médias et les ONG.
» Nous travaillons sur le renforcement des capacités des officiers de police, des magistrats et des juges sur les sujets relatifs à notre mission »
-Peux-tu nous parler davantage de ton métier actuel à l’ONUDC ?
Je travaille sur le dossier de la migration clandestine et sur le trafic illicite des migrants, principalement de l’Afrique du Nord vers l’Europe. J’ai donc eu l’opportunité de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements de l’Egypte, de la Libye, de la Tunisie et du Maroc. J’ai notamment participé à travers l’édition de rapports d’études qualitatives sur les routes utilisées par les trafiquants et sur les coûts supportés par les migrants. De plus, nous organisons des formations auprès des officiers de police et des procureurs de ces pays portant notamment sur la distinction entre les cas de trafic illicite des migrants et le trafic des êtres humains. Comme il s’agit d’un phénomène transnational, de nombreux pays sont concernés. Notre bureau essaye de faciliter l’échange d’informations entre les pays et les demandes légales d’aide mutuelle. Il s’agit alors principalement d’assurer la coordination entre les différentes institutions, aux niveaux national, régional et international. Nous facilitons aussi l’échange avec les autorités européennes concernées comme Europol et Interpol. Pour ma part, j’ai eu l’honneur et l’opportunité de collaborer à la rédaction du projet de la lutte contre la corruption concernant le blanchiment d’argent en Egypte et j’ai pu faciliter le lancement de ce projet à travers les recherches et les négociations avec les partenaires nationaux. J’ai également travaillé sur les projets de réforme de la sécurité en Tunisie et en Egypte dans le but d’identifier les besoins de ces pays, d’établir une plateforme de discussion entre la société civile et la police et de répondre aux attentes des peuples mais aussi aux besoins des services policiers dans ces pays.
-Est-ce que l’ONUDC fait parfois face à des restrictions de la part des autorités sur place ?
Jusqu’en 2011, on peut dire qu’il existait une grande similarité entre les régimes de l’Afrique du Nord, pays avec lesquels j’ai le plus travaillé. Leurs priorités n’étaient pas nécessairement les nôtres. Ils choisissaient par exemple de travailler sur des sujets tels que la traite des êtres humains, le trafic illicite des migrants et moins sur la réforme des services de sécurité, sur la corruption ou sur le terrorisme. Après 2010, les autorités et les gouvernements en place ont montré une forte volonté politique d’élargir la coopération avec notre bureau. Et effectivement depuis cette date nous avons pu établir des projets contre la corruption en Egypte, en Tunisie et pour la réforme de services de sécurité dans ces pays et également au Maroc. Nous sommes donc optimistes pour le futur de notre coopération avec les pays de la région. Il est à noter dans ce contexte que le mandat et l’assistance de l’ONUDC est fourni aux gouvernements selon leur demande et priorités
« Parfois la migration illicite se transforme en traite d’êtres humains à travers le travail forcé, le trafic d’organes et même la prostitution forcée. »
-Est-ce que l’ONUDC a travaillé sur la question de la migration entre les pays arabes après les révolutions ?
Il s’agit effectivement d’un problème important mais l’essentiel des flux migratoires entre pays arabes s’effectue à travers des réseaux légaux. Par exemple les Libyens résidants en Egypte y sont installés légalement. Par contre après la révolution, plus de 30 000 tunisiens ont quitté leur pays à destination de l’Italie et de la France. Nous essayons alors de faciliter l’échange entre les autorités de manière à préserver en premier lieu les droits de ces migrants même s’ils le sont de manière illégale et de prévoir des mécanismes d’expatriation de ces migrants vers leur pays d’origine.
-L’ Egypte fait-elle face à un problème de migration illégale ?
L’Egypte constitue un cas très particulier. Elle est à la fois un pays d’origine, de transit et de destination. C’est un pays d’origine pour les migrants égyptiens vers l’Europe, en premier lieu à destination de la Grèce et de l’Italie. C’est un pays de transit pour les migrants africains se dirigeant vers Israël. Et c’est un pays de destination pour plusieurs nationalités africaines et même d’Europe de l’Est qui viennent chercher un emploi en Egypte. Parfois la migration illicite se transforme en traite d’êtres humains à travers le travail forcé, le trafic d’organes et même la prostitution forcée. L’Egypte a récemment fait des efforts pour combattre ces phénomènes notamment à travers la promulgation d’une loi en 2010, pour criminaliser la traite des êtres humains et l’établissement d’un comité interministériel spécialisé
-Penses-tu que les programmes enseignés à la Filière sont suffisamment utiles pour se lancer sur le marché du travail ?
Certains cours comme par exemple ceux de « diplomatie » et « d’organisations internationales » étaient très utiles. Mais je pense que le système universitaire souffre de lacunes. Dans les universités étrangères il est souvent obligatoire pour les étudiants de faire un stage. Et je pense que ces stages permettent aux étudiants de mieux identifier ce qu’ils veulent vraiment faire. Parce que parfois les étudiants ont des attentes qui ne correspondent pas à la réalité. Il est alors très important d’encourager les étudiants à faire des stages professionnels. Cela va leur permettre non seulement d’acquérir une expérience professionnelle, mais aussi de mieux s’orienter sur le marché du travail.
-Est-ce que tu pratiques d’autres activités à part ton métier à l’ONUDC ?
Je suis engagé dans le bénévolat auprès d’orphelins et de personnes âgées. Aussi je fais de l’Aïkido depuis presque deux ans. C’est un art martial japonais à la fois excellent moyen d’autodéfense et sport spirituel. La philosophie de ce sport est très paisible et s’appuie sur des concepts comme l’harmonie et la non-agression. En Aïkido il n’y a pas de compétition. Celle-ci se fait avec soi-même.
Entretien recueilli par Nahed Alaa Shalan