• Sherif El Ashmawy – « Le changement illusoire »

    Publié le 2 juillet 2012

    Etudiants, Vous Avez la Parole !

     Sherif El Ashmawy, étudiant en quatrième année, SC PO  écrit le premier article de cette notre nouvelle rubrique, dans lequel il analyse les effets du changement politique sur le socio-économique d’un pays.

     J’étais dans l’illusion que le parcours post révolutionnaire en Tunisie était quasi idéal, jusqu’à ce qu’un sociologue tunisien m’ait présenté une autre thèse. D’après lui, bien que la Tunisie présente aujourd’hui un bon modèle de transition démocratique au niveau des libertés politiques, les droits et les préoccupations socio-économiques des citoyens demeurent en grande partie ignorés. Cette analyse m’a conduit à reconsidérer le changement politique en tenant compte cette fois-ci de ses limites, particulièrement dans le contexte égyptien. 

    La théorie politique d’Aristote et des théoriciens contractualistes nous apprend que toute action, y compris l’action politique, tend vers l’achèvement du bonheur et que les structures politiques ont émergé pour répondre aux besoins socio-économiques des individus. Si nous adoptons cette conception théorique des choses, nous trouverons que le socio-économique est l’essentiel. Ainsi, trop focaliser sur l’évolution des structures et des dynamiques politiques sans étudier comment cela reflète ou produit une évolution sur le plan socio-économique de la vie quotidienne des citoyens est une grave erreur.

     L’Egypte de nos jours présente un bel exemple de cette thèse. Dire qu’un système démocratique a émergé en Egypte serait une déclaration assez contestable. Cependant, la politique égyptienne a subi de forts changements depuis le début de la révolution en 2011. Des changements surtout au niveau des acteurs et de l’élite politique, mais aussi au niveau des dynamiques et des interactions entre ces acteurs au sein d’un système difficilement catégorisable jusqu’à présent. Ces changements, malgré toutes les imperfections du système faciles à discerner, ont produit des élections législatives relativement libres dans un climat de compétition politique inédit en Egypte depuis l’établissement de la République.

    De tels changements dans le système politique égyptien étaient perçus par les observateurs de la politique égyptienne, avant le 25 janvier 2011, comme suffisantes pour produire des effets gigantesques sur l’économie et la société. Des effets résultant en une émergence potentielle d’une puissance égyptienne sur les plans divers. Une telle thèse semble aujourd’hui invalide étant donné que ces changements ne semblent pas avoir satisfait un large segment de la société égyptienne, ni ne semblent produire des effets socio-économiques (longuement attendus et demandés, notamment durant la révolution). Les choses semblent donc compliquées.

    Seize mois après le début de la révolution, il me semble que nous avons perdu trop de temps et d’énergie dans la réforme du système politique (une réforme toujours incomplète malgré les changements), ignorant les demandes sociétales des plus  défavorisés. Eviter la reproduction d’une dictature et d’un régime corrompu ne réside pas, à mon avis, dans l’enjolivement du gouvernement et du pouvoir politique, mais plutôt dans l’édification d’une société forte et cohérente ayant des moyens d’action, capable de contrebalancer tout pouvoir politique et de confronter tout abus du pouvoir, une société où tous les individus sont égaux et possèdent une égalité des chances et d’opportunités. Une société qui impose et édicte ses ambitions et valeurs à ses gouvernants, et non pas le contraire. Il s’agit de renforcer l’empowerment de la société, non pas le gouvernement !

    Cette conception de la relation Etat-société provient d’une vision plus ou moins négative des instruments ‘démocratiques’ dans une société faible et incohérente où les assemblées élues ne sont pas représentatives au sens strict du terme, compte tenu des questions du financement des campagnes électorales, du discours et de la rhétorique souvent flous et populistes des cadres politiques, du rôle des institutions médiatiques et les orientations de ces dernières, mais aussi de la diversité même des choix disponibles. Ces facteurs ont un effet amplifié dans les sociétés faibles vis-à-vis de leur pouvoir politique.

    Pensons société !